Chercher le respect en équipe

X — Excuse-moi du retard, j’ai eu du mal à me mettre en route ce matin.

Moi — Ce serait facile de t’excuser si tu étais plus souvent à l’heure qu’on s’est fixé. J’ai l’impression que tu décales régulièrement tes arrivées le matin depuis quelques temps.

X — Mais je rattrape toujours le soir ! Je fais bien mes heures.

Moi — Encore heureux, sinon nous aurions eu cette discussion un peu plus tôt.

X — Ce n’est pas très grave alors ?

Moi — On est effectivement d’accord que ce n’est pas une question de temps de présence.

X — Est-ce que je fais mal mon travail ?

Moi — Je te propose de se concentrer sur un autre moment dans une journée : que dirais-tu à un collègue qui arriverait tous les jours avec 10 minutes de retard à la pause café du matin ?

À la recherche d'un reflet dans le miroir

X — Que c’est dommage. Qu’il s’auto-exclut.

Moi — Est-ce que tu peux imaginer qu’il soit obligé de créer ce décalage ? Qu’il ait une réunion fixe avec un client à l’étranger dans le cadre de son projet. Ou qu’il préfère éviter l’un ou l’autre à cause d’une vexation malheureuse ou d’une promotion perdue.

X — Effectivement ça changerait du tout au tout.

Moi — Dans le cadre de la formation Job Relations du TWI, un des ancêtres du TPS, on reçoit souvent une carte : le premier item de cette carte suggère de « recueillir et vérifier les faits pour se faire une opinion ».

X — Il pourrait aussi avoir envie de partir le plus vite possible le soir pour récupérer ses enfants à l’école et donc limiter son temps de pause au maximum, on peut imaginer des tas de scénarios différents…

Moi — Contre-intuitivement l’effort du respect, c’est plutôt d’en donner. Pas de le recevoir. Encore moins de l’exiger. C’est même une des bases d’une relation de confiance et donc d’un boulot de qualité : Toyota appelle ça « Show Respect for People » et c’est bien de la responsabilité du leader.

X — J’avais pourtant saisi une pointe de reproche dans ta question initiale sur mes retards.

Moi — Je n’ai jamais dit que le Lean était facile. Par contre je sais que le Lean est aussi une affaire une coordination entre les gens : savoir qu’on peut compter sur les autres, c’est important. Un exemple parmi d’autres : la personne qui s’occupe du support va récupérer les éventuels problèmes de la nuit en prenant son poste à 9h. Si elle découvre un problème urgent à ce moment-là et qu’il n’y a personne pour le traiter avant 9h30, elle passera potentiellement de longues et douloureuses minutes au téléphone avec le client.

X, d’une traite — En fait j’ai eu un échange déstabilisant avec un ancien camarade de promo : je ne voudrais pas de son job car il est moins intéressant et challengeant mais il a l'air un peu plus flexible que le mien. Et je vois que ça me travaille.

Moi — OK, je sens que la discussion va devenir autrement plus intéressante désormais !

Les espérances du plan, l’obstination du terrain

X — Je ne vais pas y arriver : le contenu que je devais publier à la fin de semaine ne sera pas prêt.

Moi — Est-ce que tu veux qu’on regarde ensemble ? Je sens une point d’irritation derrière cet andon.

X — Tu appelles ça un « andon » ?! Je pensais que c’était plutôt pour les développeurs de l’équipe, quand ils étaient coincés dans leur code et qu’ils appuyaient sur le bouton orange de leur kanban.

Moi — Et pourtant, à chaque fois qu’on me signale un défaut ou un problème, je tente d’en changer l’étiquette dans ma tête : en utilisant « andon », cela me force à aller au bout de la réflexion. Avec un « problème », je me serais arrêté une fois trouvé un palliatif à la situation présente.

X — Ce serait déjà bien suffisant, non ?

Moi — Désormais j’essaie d’en saisir l’opportunité pour aller plus loin. Quand l’appel au secours devient « andon », je dois quitter les habits de pompier. Ça me force à regarder la situation sous un autre jour. Sans oublier de rechercher la cause racine (ce que nous ne savions pas que nous ne connaissions pas) et sans faire l’impasse sur les efforts nécessaires pour que ce problème n’arrive plus.

X — Et dans mon cas, ça donnerait quoi ?

Moi — D’abord t’écouter, probablement utiliser les 5 pourquoi au passage. Ensuite - et dans le meilleur de cas - découvrir qu’il y a un truc qu’on peut tenter pour sauver la publication de ce contenu. Et peut-être revoir le calendrier des publications qu’on a fixé il y a bientôt 6 mois.

X — Tu veux dire qu’on pourrait le mettre à la poubelle, comme ça, simplement parce que je rate une publication.

Moi — C’est peut-être l’éléphant au milieu la pièce : chercher d’abord à faire la bonne chose et au bon moment. Le planning n’est pas à suivre au pied de la lettre systématiquement, surtout si tard après sa mise au point.

Un éléphant au milieu...

X — Oulala, j’ai l’impression que je vais devoir revoir mes conceptions personnelles du kanban ou du Just-In-Time…

Moi — Donc si on estime que ce contenu n’a plus de sens désormais ou qu’on peut faire quelque chose de beaucoup mieux, de plus efficace et percutant, il ne faut pas s’en priver. Je te donne un autre exemple : le « standard », il n’existe que pour être modifié et amélioré. Rien de pire que de produire quelque chose de moins bien : la vérité du Gemba est une bien meilleure boussole que le plan et son cortège de prémisses obsolètes.

Et le mur devient un partenaire de réflexion

X — Tu continues à utiliser des feuilles de papier au mur !? Je pensais pourtant que dans une boîte de logiciels qui promeut la dématérialisation des procédures RH - entre autres - il y avait mieux à faire.

Moi — Je te rassure : ici chacun fait autant de télétravail qu’il le souhaite. On peut dématérialiser autant que nous le souhaitons. Nous avons ainsi deux formes de Gemba que nous faisons régulièrement en ligne et en binôme, le « Gemba code » et le « Gemba kaizen ».

X — Mais alors pourquoi ne pas mettre en ligne ces feuilles ?

Moi — Parce que ces feuilles-là sont d’abord pour moi, quand je prends un temps du recul et de réflexion avec moi-même.

X — Décidément je ne comprends pas : si tu es le seul à les utiliser, ça pourrait tout simplement être un fichier Excel sur ton ordinateur personnel. Même pas besoin de cette couche de complexité qu’on appelle Zoom, Miro, Teams et peut-être bientôt Metaverse.

Moi — Petit hic : prendre du recul derrière un écran est littéralement impossible. Tu seras toujours à 60 cm des pixels lumineux. Je préfère largement pouvoir embrasser tout le mur d’un seul regard et m’avancer au besoin pour explorer une feuille en particulier. Je vais même jusqu’à écrire à la main les résultats que je collecte dans nos différents outils numériques.

X — Dois-je comprendre que tu aimes bien perdre ton temps à utiliser tes petits feutres vert et rouge ?

Moi — Et même le Tippex ! Dans le cas présent, c’est moi qui met les points sur les courbes et qui en efface certain avec du correcteur blanc : l’effet Ikea joue aussi sa part.

X — Un peu comme un tennisman qui joue contre le mur alors : la trajectoire de la balle ne dépend que de son coup initial.

Jouer au tennis avec un mur de briques

Moi — Effectivement, je n’avais pas pensé à cette métaphore : je m’y retrouve en tout cas. En fait le mur et ces feuilles sont mon espace matériel de Hansei : ce moment d’auto-réflexion pour tenter de comprendre ce qui s’est passé, l’accepter et trouver des ressources pour l’améliorer.

X — C’est marrant que tu aies besoin d’une zone bien physique pour réfléchir : j’aurais cru que tu pouvais faire ça devant ton écran. Un informaticien est plutôt équipé pour ça n’est-ce pas ?

Moi — Et bien non, mes meilleurs moments devant un écran sont plutôt quand je code en pleine concentration. On appelle ça être dans la « zone » mais c’est plutôt que le code coule de source, les doigts tapent plus vite que la pensée, le monde extérieur n’existe pas. L’auto-réflexion, c’est au contraire une bonne tranche de réelle qu’il faut examiner, évaluer et digérer. Ce serait trop facile de l’évacuer en refermant l’ordinateur.