Moi — Je vois que l’andon sur un de tes kanbans s’est allumé, est-ce qu’on peut regarder ensemble ce qui se passe ?
Andon allumé sur une chaîne Toyota
X — Mais je pensais que pour déclencher l’andon, il fallait appuyer sur le bouton orange dans notre interface.
Moi — Le déclenchement manuel est effectivement possible, mais il y a aussi un déclenchement automatique : quand on n’arrive pas à suivre le takt ou quand on passe trop de temps sur un kanban, par exemple. C’est ce dernier cas qui vaut ma présence à tes côtés.
X — Pourtant j’ai à peine commencé hier matin.
Moi — Pour se faciliter le lissage en interne, on a décidé arbitrairement qu’un kanban devait être faisable en moins de 24h - soit 7 ou 8h de travail consécutif. Si tu l’as commencé en fin de matinée, c’est donc normal que l’andon se déclenche aujourd’hui en début d’après-midi.
X, sceptique — Bon, d’accord…
Moi — Alors que raconte ce kanban ?
X — Je ne vais pas réussir à le terminer d’ici ce soir : il est plus complexe que d’habitude et comme L. n’est pas là, je n’ai pas pû lui demander de l’aide comme pour les kanbans précédents. Bref, je pédale un peu dans la semoule et je ne suis toujours pas certain de savoir comment le traiter en fait.
Moi — Pourtant quand L. est absente, il y a bien d’autres personnes qui vérifient tes commits…
X — Bien sûr mais j’ai toujours peur de les déranger avec mes petits problèmes de démarrage, surtout que ça fait désormais plus d’un mois que je suis dans l’équipe.
Moi — Je vois. Je comprends mieux pourquoi mon sensei insistait sur cette chaîne d’aide : ce déclenchement automatique me fait bien plaisir !
X, interloqué — Tu parles de plaisir ?
Moi — Bien sûr ! Je suis content de savoir qu’on devrait pouvoir t’éviter au moins deux jours supplémentaires de pédalage dans la semoule. Il a eu raison de me montrer une vidéo avec un andon automatique sur l’alimentation en pièces d’une petite machine industrielle.
X — Et moi qui pensais que tu serais contrarié.
Moi — Bien au contraire, cela met en lumière un point que je ne t’ai pas encore expliqué clairement.
X — Comment réaliser cette tâche ?
Moi — Même pas… Plutôt comment se donner le temps d’y arriver. Tu le sais déjà, chaque kanban doit être faisable en moins de 24h. Mais dès que tu découvres que tu n’y arriveras pas, tu as la possibilité de modifier le libellé du kanban avec la mention « exploration » : une fois que tu auras fini ton exploration (toujours ces fameux 24h maximum), tu auras appris des choses. Soit que ce n’était pas si difficile, tu peux alors valider le kanban normalement; soit que ce sera effectivement plus complexe que prévu, tu devras alors créer d’autres kanbans - peut-être 1, 2 ou 3 - pour arriver au bout. Des kanbans qui viendront s’ajouter à ceux qui étaient déjà pré-positionnés pour être lancés dans les jours à venir : une nouvelle phase de lissage se chargera d’équilibrer le tout en fonction des contraintes connues des clients et des collègues.
X — Est-ce que je peux en profiter quand même pour te demander de l’aide sur ce kanban en particulier ? À ton air amusé, je pense que tu sais pertinemment comment en venir à bout.
Moi, pointant un ligne sur son écran — Tu pourrais en effet créer une backtrace sur cette variable puis vérifier si la pile d’appel est bien celle que tu as en tête. Et au passage, tu devrais bientôt apprendre à repérer les interceptions d’un plugin dans le code d’Opentime… Et leurs conséquences.
X — Cela fait bientôt 3 mois qu’on travaille sur ce kaizen, et j’ai l’impression que, depuis le début, tu sais exactement là où je vais attérir avec mes recherches alors que moi, j’ai l’impression de pédaler dans la semoule.
Moi — Pas tout à fait.
X, accusateur — Mais quand même plus qu’un peu !
Moi — Certes : j’ai bien une idée de la direction dans laquelle on va avancer ensemble lors de ces gambas réguliers mais ce n’est pas tellement un résultat en particulier que je cherche.
X, interrompant — Ne me dis pas que tu me fais travailler pour « rien ».
Moi — Non plus, en fait je tente de te donner des perches, comme un maître nageur qui enseigne la natation : si je nage à ta place, j’arriverai bien au bout du bassin mais tu ne sauras pas nager pour autant; si je te donne des perches trop solides, tu apprendras à te laisser tirer; si je ne te donne aucune perche, tu peux vite couler. C’est loin d’être si facile de faire progresser les gens.
X — Et si je n’ai pas envie de nager ?
Moi — Le Lean part du principe que les gens ont envie de s’améliorer et d’apprendre. Et il fournit tout une gamme d’outils et de techniques pour y parvenir.
X, sceptique — Ça doit quand même être un peu troublant quand on se sent « piloté » de l’extérieur.
Moi — C’est pourquoi la confiance et le respect mutuel font parti du socle de la maison du TPS. Sans ça, on n’y arrive pas. Et même avec ça, ce n’est pas certain qu’on y arrive : être « cool » l’un avec l’autre est loin d’être suffisant pour progresser.
X — C’est sûr que je n’ai jamais vu de table de ping-pong ici !
Moi — Mais peut-être que tu préférais un « management objectif », avec des chiffres bien calés en début d’année et une simple courbe dans un fichier Excel pour marquer la différence entre réussite et échec.
X, vexé — Je n’ai jamais dis ça !
Moi, taquin — Je sais bien, je pousse juste un tout petit peu le raisonnement : le mode financier est tellement imprégné dans nos habitudes qu’on est parfois bien en peine de le débusquer.
X — On a quand même vite dérivé : comment est-on passé des mesures que je dois faire chaque semaine à ces remarques si générales sur l’économie ?
Moi — N’importe quel système complexe veut ça : tout y a une influence sur tout. Et la vie d’une boîte n’y échappe pas : il suffit d’un client, d’un fournisseur, d’un salarié ou même d’une réglementation pour tout faire tanguer. Et le Lean apporte une boussole et une carte assez robuste pour y naviguer sereinement. C’est cette sérénité qui permet d’anticiper assez pour avancer ensemble dans la bonne direction, celle qui résout les problèmes des clients et qui tient compte du contexte général.
X — Je n’avais jamais vu mon kaizen comme l’antidote à la carotte et au bâton !
X — J’ai vu en début de semaine qu’il y avait plus de 20 kanbans dont l’andon était allumé. J’ai l’impression que c’est beaucoup, non ?
Feu orange (Lille, 2023)
Moi — Je suis bien d’accord : cela fait bientôt deux semaines que je vois ce chiffre grimper peu à peu.
X — Et qu’est-ce qu’on fait dans ces cas-là ?
Moi — La théorie nous dit de s’arrêter au premier défaut.
X — Et ?
Moi — Force est de constater que je me suis arrêté au 24ème.
X — Et ?
Moi — Il m’aura fallu une dizaine de jours pour accepter l’évidence : l’équipe ne pourrait pas rattraper le retard.
X — Et ?
Moi — Hier, j’ai enfin pris le taureau par les cornes et on a re-lissé le stock en question sur les 3 semaines à venir.
X — Et ?
Moi — Je peux partir en vacances tranquille ce soir.
X — Et ?
Moi — Je suis toujours sidéré par la capacité que nous avons à mettre la tête dans le sable… Le Lean est quand même une sacré école d’humilité. Les pastilles oranges se sont accumulées sur mon écran, malgré mes coups de main réguliers - en prenant de temps en temps un ticket à l’un ou à l’autre - et malgré mes coups de fil ponctuels - pour explorer les causes d’un délai plus long que prévu sur un kanban.
X — Un vrai problème de « charge - capacité » donc.
Moi — Et un vrai avertissement pour le problème suivant : la question d’une embauche chez No Parking remonte dans mes préoccupations.
X — Mais, ce kanban est vraiment facile, je suis sûr que je peux le faire en moins de quinze minutes.
Moi — Entièrement d’accord : moi aussi, je suis sûr que tu peux y arriver. Mais le tableau des kanbans te dit autre chose, n'est-ce pas ?
X — Je sais, il est en deuxième position. Il y a un autre kanban tout en haut de la pile.
Moi — Et...
X, désenchanté — Je suppose que c'est celui sur lequel je dois travailler tout de suite. Mais il y a un problème quand même : je ne sais pas combien de temps cela va prendre. C’est un de ces kanbans « bac rouge », on ne sait jamais si c'est une correction de 5 secondes ou une plongée en apnée de 2 heures dans un code ancien et obscur.
Moi — Et dans quel cas va-t-on apprendre le plus ?
X — Facile... Le plongeon de 2 heures. La correction de 5 secondes est généralement une simple condition dont quelqu'un a oublié l'existence : il suffit d’en regarder les traces dans le fichier de logs pour avoir une idée de la méthode qui doit être corrigée.
Moi — Cette catégorisation « 5 secondes / 2 heures » est-elle la même pour toi et pour le reste de l'équipe ?
X — Bien sûr que non. Par exemple, si c'est lié à du Javascript, c'est généralement des trucs de « 5 secondes » pour M…
Moi, en train de rire — Et un cauchemar de 2 heures pour moi.
X — Mais que faire si je suis vraiment coincé.
Moi — Nous avons déjà parlé de l'autre bouton, n'est-ce pas ? L’« andon » orange, juste à côté de « bac rouge ».
X — Mais si je clique dessus, je vais interrompre quelqu'un d'autre...
Moi — C'est justement le but : s'assurer que tu peux attirer l'attention de n'importe qui dans l'entreprise pendant que tu traites ta part de problèmes ou de bugs potentiellement difficiles, en améliorant tes compétences et en apprenant de nouvelles manières de faire quand c’est nécessaire.
X — Tu veux dire que c'est un privilège d'être assigné à ces kanbans « bac rouge » ?
Moi, en souriant — je n'y avais pas pensé de cette façon, mais je suppose que oui…
X — Je suis tellement content qu’on puisse se voir pour notre premier gemba de l’année : j’ai déjà commencé à travailler sur mon kaizen annuel et je suis impatient de te montrer ce que j’ai déjà fait.
Moi, emballé — Super, moi aussi j’aime bien sentir l’énergie d’une nouvelle année et d’un nouveau kaizen. Alors pour qu’on soit bien aligné, quel est le problème qu’on souhaite craquer avec ton kaizen ?
X — « Comment mieux outiller les développeurs ? » Avec comme point de départ les procédures d’import : quand un nouveau client arrive sur nos systèmes, il faut ajouter toutes ses équipes, tous ses projets, etc. On doit pouvoir faire mieux qu’un script fait à la main pour chaque cas.
Moi — Et qu’est-ce que tu as fait alors ?
X — J’ai commencé par renommer le dossier « cli » en dossier « imports » : au moins c’est plus clair dans mon esprit. Et puis j’ai créé une nouvelle méthode dans notre bot qui permet de définir plus précisément le client quand on est prêt à faire l’import sur les serveurs de production. Je m’étais brulé les doigts sur cette étape précise quand j’avais eu mon premier (et dernier d’ailleurs) import à faire.
Moi — Ou la la, c’est peut-être allé un peu vite en besogne. Est-ce que tu t’es posé la question pourquoi le dossier s’appelait « cli » ?
X, désarçonné — Est-ce si important ? Je sais qu’il sert pour les imports !
Moi — Est-ce que tu sais à quoi correspond l’acronyme CLI dans le jargon informatique ?
X — « Command Line Interface » : c’est une interface en mode texte qui permet de lancer des scripts ou des programmes, souvent d’assez bas niveau, typiquement par des développeurs ou des administrateurs-systèmes.
Moi — Et alors qu’y a-t-il dans ce dossier « cli » ?
X — Tu veux qu’on aille voir maintenant ? Moi, je souhaitais juste te montrer mon dossier « imports » et surtout les évolutions que j’ai apporté à notre bot.
Moi, essayant de ne pas paraître trop cassant — Oui.
X, après avoir ouvert son ordinateur — Alors, c’est facile : des scripts, pour certains accompagnés de fichiers Excel en plus.
Moi — Et à quoi ça te fait penser ?
X — J’imagine que les scripts avec un fichier Excel correspondent aux imports. Mais pour les scripts seuls, aucune idée.
Moi — On continue à creuser alors ? On les ouvre ces fichiers ? Peut-être qu’on comprendra quelque chose.
X — Donc : des modifications en masse d’affectations à des projets, de niveaux d’accès ou de responsabilité, des archivages d’utilisateurs ou de dossiers, et même un cas de modification automatisée de la configuration. Il y a un peu de tout !
Moi — Et alors ?
X, surpris — C’est beaucoup plus vaste que les imports que j’avais en tête !
Moi — Et alors ?
X, dépité — Mon dossier « imports » ne sert à rien. Et j’imagine que pour mes évolutions sur le bot, c’est pareil.
Moi — On aurait effectivement pu commencer par explorer comment sont faits les imports actuellement, poser la question à ceux qui en ont fait dernièrement, documenter précisément l’ensemble du processus, tenter de le répliquer. On aurait alors eu un standard à améliorer par la suite.
X, surpris — Je n’avais jamais imaginé qu’un kaizen implique d’aller voir des gens spécifiquement. J’ai toujours pensé qu’il s’agissait d’un outil de développement individuel et personnel.
Moi — Ne t’inquiète pas, tu n’es pas le premier à avoir une conception erronée d’un outil Lean. Malheureusement… Mais revenons à nos moutons, est-ce que tu sais qui a fait les dix derniers imports ?
X — Ça risque d’être compliqué : déjà moi, j’ai du mal à me souvenir de ce que j’ai fait la semaine dernière. J’imagine qu’aucun membre de l’équipe ne saura me répondre précisément.
Moi — Est-ce que tu as déjà parlé aux pièces ?
X, interloqué — […]
Moi — Pardon, je m’emballe. Est-ce que tu as déjà parlé avec le dossier « cli » ? Je suis sûr qu’il aurait des choses à te dire.
X — Et comment veux-tu que je lui parle ? Il n’est pas connecté à ChatGPT à ce que je sache.
Moi — Certes, mais je crois qu’il peut répondre quand on lui pose des questions qu’il comprend. Par exemple avec un git log.
X — Ah ah, c’est sûr qu’avec une telle commande, ça devient évident. N’importe quel répertoire peut répondre puisque Git stocke toutes les modifications. C’est donc ça « parler aux pièces » ?
X — C'est curieux : tu as l'air de tenir énormément à la formation au sein de ton équipe, mais d'après ce que j'ai compris, un seul d’entre eux aurait suivi des sessions « officielles » de formation depuis presque un an.
Moi — C'est parce que l'apprentissage réel implique un vrai problème et du temps pour soi. Si le problème n’est pas réel, la formation ne servira qu’à briller en société, et pas à autre chose : tu n'apprendras rien.
Session d'aikido à Lambersart (France)
X — Mais pour apprendre, il y a sûrement de la valeur dans les répétitions des tâches au quotidien : je pratique l'aïkido depuis deux ans, et je peux te garantir que nous faisons les mêmes techniques encore et encore. J’ai même l'impression de m'améliorer.
Moi — J'imagine que tu as changé de point d’attention au fil des ans : peut-être que c'était les mains et les bras au début, et peut-être les pieds ou les hanches maintenant.
X — C'est vrai : notre sensei semble toujours avoir un truc différent à montrer pour chacun d'entre nous. Pour moi, il s'agit généralement de me rapprocher du uke. C’est d’ailleurs assez incroyable : il sait vraiment repérer les petits détails dans la pratique de chacun.
Moi — Et ces étapes qu’il te suggère de travailler chaque semaine, sont-elles de plus en plus difficiles à mettre en pratique ?
X — Je vois où tu veux en venir : chacune peut effectivement être déstabilisante. Quand il met quelque chose de nouveau dans ma tête, tout devient plus difficile et j’ai souvent l’impression de régresser alors que j’essaye juste d’incorporer ce nouveau paramètre dans mon geste. C'est vraiment dur. Mais de temps en temps, il y a un déclic et le mouvement se met en place.
Moi - C'est le vrai problème auquel je voulais en venir : dans le monde du business, il y a aussi des tonnes d’étapes à franchir les unes derrières les autres. Doubler le bon et diviser par deux le mauvais est une bonne étape pour plonger dans le Lean.
X — Est-ce l'ambition que vous fixez à vos collaborateurs ?
Moi - Au fil des ans, j'ai découvert que de tels objectifs chiffrés pouvaient être très intéressants pour l'équipe technique. Et que même, « on va jusque zéro » était encore meilleur.
X — N'est-ce pas décourageant ?
Moi — C'est la raison pour laquelle nous limitons habituellement nos efforts de kaizen dans le temps chez No Parking : après un an, chacun est libre de s'attaquer à un nouveau problème épineux. Bien sûr il peut aussi reprendre le même kaizen s’il le souhaite.
X — D'accord : je commence à comprendre cette notion de « vrai problème ». Mais peut-on revenir sur la partie « temps pour soi » : je pensais que le Lean était vraiment une question de travail d'équipe.
Moi - C'est là que mon rôle de manager prend toute son importance. D'abord, je m'assure que chacun a bien le temps de travailler sur son kaizen. Je fais un gemba avec chacun d'eux toutes les trois semaines : c'est une façon de montrer que je me soucie d'eux, d'applaudir leurs derniers succès et de les inciter à aller de l'avant. Et bien sûr, ils doivent - et peuvent - prendre du temps entre chaque gemba pour travailler sur les points durs qu’ils débusquent au fur et à mesure : c’est là qu’ils apprennent. Ensuite, une partie du processus d'apprentissage consiste à réaliser tu as besoin de l'expertise des autres pour construire la vôtre. Chacun découvre qu’il peut s'appuyer sur les connaissances de quelqu'un d'autre pour faire avancer son kaizen : la confiance se met en place quand ton collègue accepte de faire un truc qui te débloque. C’est là que le travail d’équipe émerge à son tour.
Moi — Exactement, c'est là que la magie opère : lorsque tu sais que d'autres personnes veillent sur toi pendant que tu tentes de nouvelles choses pour répondre à de bons problèmes.
X — Parce qu’il y a de bons problèmes ?
Moi — En Lean, chaque problème est un cadeau : il faut apprendre à les accueillir avec délicatesse, délectation, dessein et détermination. Ce sont mes 4D. Il y en a d’autres.
Ces logiciels permettent à des entreprises en France et à l’étranger de gérer leur activité sur des dimensions RH, financières et opérationnelles.
Ils sont commercialisés à plus de 200 clients et plus de 7000 utilisateurs en France et dans le monde entier (Europe, Etats-Unis, Chine, Japon, Inde, Brésil).
Quelles seront tes missions ?
C'est pour accompagner ces projets (puis les nouveaux) que nous recherchons un ou une apprenti(e) en « design web / UI / UX ».
Intégré au sein du pôle développement, tu participeras activement à toutes les étapes non-techniques de l'édition des logiciels et de leurs support de promotion (brief marketing, conception des interfaces, coordination technique, mise en place des actions de communication).
Quel profil est recherché pour cette alternance ?
Nous recherchons une personne qui maîtrise les outils graphiques liés au web (exemple suite Adobe, Sketch, Figma et/ou Affinity Designer) et qui a une appétence pour les nouvelles tendances du marché et une forte orientation utilisateur.
Les petits plus pour augmenter ses chances ?
des notions de mise en page avec HTML & CSS
de l’appétence pour l’ergonomie web et mobile
des compétences en création vidéo
un bon niveau en anglais
Et les détails pratiques ?
Type de contrat : Apprentissage
Période : 1 an minimum à partir de septembre 2022
Nous sommes une équipe dynamique de 6 personnes basée à Lille et plus précisement à Euratechnologies !
Dans l'univers Lean, le Lead Time ou délai d'exécution est « le temps qui s'écoule entre le début et la fin d'un processus » et chez No Parking, il est au coeur de toutes nos actions !
En quoi le lead time agit sur nos manières de travailler seul ou à plusieurs et que permet-il chez No Parking ?
La réponse, en vidéo !
Une vidéo réalisée par Chloé Philippot, chez No Parking, avec la participation de Laury Henneton, Perrick Penet et Chloé Philippot
En septembre 2021, nous avons été contactés par un client d'Opentime (le logiciel phare proposé par No Parking) qui souhaitait connaitre l'empreinte carbone résultant de leur utilisation de l'outil.
Une nouvelle aventure a alors débuté chez No Parking, celle de réaliser notre tout premier bilan carbone® !
Qu'est-ce qu'un bilan carbone® en entreprise ?
Selon l’agence de la transition écologique (ADEME), « Un Bilan GES est une évaluation de la quantité de gaz à effet de serre émise (ou captée) dans l’atmosphère sur une année par les activités d’une organisation ou d'un territoire ».
lI s’agit pour une entreprise d’analyser les émissions générées par l'ensemble de ses activités à travers un outil global. Cet outil, le bilan carbone®, a été développé par l’ADEME et est aujourd’hui une marque déposée portée par l’Association Bilan Carbone.
Réaliser un Bilan Carbone® permet d’estimer la pollution qu’une entreprise génère mais également d’identifier les actions et la quantité d’efforts à intégrer dans sa stratégie pour jouer un rôle dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Quel bilan carbone pour No Parking ?
Ce bilan a été réalisé par Pauci Impacts Conseil en prenant compte des données sur la période du 1er avril 2019 au 31 mars 2020.
Pour l'année en question, les émissions de CO2 de No Parking s’élèvent à 25 tonnes équivalent CO2.
Emissions de Gaz à effet de Serre, No Parking
Il a été calculé sur le périmètre le plus large de la comptabilité carbone d'une entreprise (scope 1, 2 et 3) : les émissions directes, les émissions indirectes liées à l’énergie et les autres émissions indirectes.
L'entreprise fournissant des services numériques, les principales émissions résultent de l'organisation de No Parking dans sa vie quotidienne et non du produit fourni au client. C'est pourquoi c'est au périmètre 3 que les émissions sont les plus fortes.
Les principaux postes d'émission sont les achats, la mobilité et les immobilisations, l’énergie ne représentant que 4% des émissions et les services finaux vers les utilisateurs 1%.
Emissions de Gaz à Effet de Serre par scopeEmissions de Gaz à Effet de serre en comparaison au marché
En comparant les émissions de CO2 de No Parking avec celles de deux types d'entreprises dans des secteurs proches, le bilan démontre que la performance carbone rapporté au chiffre d'affaires est plus élevée chez No Parking.
Quelles actions mettre en place ?
Dans un premier temps, le bilan nous permet de calculer l'empreinte résultant de l'utilisation d'Opentime: 5,88 kg d'émissions de CO2 par utilisateur du logiciel.
Nous souhaitons désormais intégrer cette empreinte carbone dans les factures que nous envoyons à nos clients à chaque fin de mois afin d'apporter une réponse simple aux clients qui s'engagent dans une démarche de sobriété numérique et nécessitent cette donnée.
Opentime comprenant également un module de facturation intégré au module de gestion de projet, nous souhaitons mettre à disposition des clients cette fonctionnalité de comptabilité carbone dans leur facturation. Ainsi, un utilisateur d'Opentime pourra générer une facture pour ses clients en indiquant l'empreinte globale de la prestation de valeur facturée (service ou produit).
Dans un premier temps, cette empreinte peut-être calculée selon une approche forfaitaire, via les facteurs d'émissions de la méthode Bilan Carbone, si l'entreprise en question n'a pas encore réalisé de bilan carbone complet.
Ayant déménagé nos bureaux depuis la période prise en compte dans ce premier bilan, nous avons également diminué nos émissions en termes d'énergie et de performance du bâtiment.
Afin d'améliorer l'impact de la catégorie Achats, il conviendrait aussi d’obtenir des informations de la part des fournisseurs afin de procéder à une évaluation plus fine d'après Pauci Impacts Conseil.
Chez No Parking, nous travaillons sur la base des valeurs et des outils du Lean : one-piece-flow, jidoka, kaizen, PDCA... et en particulier, les kanbans.
Un kanban c'est quoi ?
En japonais, kanban signifie « étiquette » et chez No Parking, il s'agit de suivre une tâche, une action sur toute sa durée de vie.
Alors comment gère-t-on les kanbans ?
Cette vidéo a été réalisée pour une présentation de Perrick Penet dans le cadre de l'Institut Lean France et devient l'occasion d'échanger sur notre utilisation du lean management et de la gestion des kanbans qui en découle.
Réalisation Chloé, avec la participation de Perrick, Ophélie et Valentin
Si la promesse de la fin de réunions absurdes sur Zoom commence à poindre le bout de son nez, d'autres pratiques inhibitrices d'intelligence existent au travail : la philosophe Peggy Avez nous invite à en explorer quelques unes. À méditer avant de reprendre le chemin du bureau...
Si l'on cherche à améliorer la vitalité d'une structure collective quelle qu'elle soit, on a intérêt à se poser une question radicale : comment cesser de gâcher l'intelligence des personnes impliquées ? Chacun·e a pu en faire l'expérience : lorsque vous sentez votre intelligence brimée, sous-évaluée, méprisée, vous souffrez et cherchez à vous retirer. Au niveau international, on évoque la fuite des cerveaux. Mais à une moindre échelle, ce mécanisme s'observe de bien des façons. Quelles sont ces pratiques ordinaires qui génèrent tant de souffrance chez les salarié·e·s et de pertes pour les organisations ?
Ce questionnement se heurte à de nombreux tabous. Mais ici comme ailleurs, oser penser l'impensé de nos pratiques sociales permet d'identifier des biais... et de nous en libérer peu à peu.
Un préjugé qui structure nos perceptions (et nous aveugle !) veut que la supériorité d'un statut social indique la supériorité d'une parole. Dans un groupe donné, celui qui incarne l'idéal dominant par son diplôme, son genre, sa couleur de peau, son milieu social, a davantage raison que celui qui l'incarne moins.
Dans notre système de croyances, il faut ménager la susceptibilité de celui ou celle qui commande et se retenir de lui opposer des idées pertinentes. Ce n'est pas tant le désaccord qui pose problème, que la mise un mal d'un tabou social : il faut se comporter comme si le chef était plus intelligent que les personnes qui lui sont d'une façon ou d'une autre subordonnées. En d'autres termes, la dissymétrie socio-économique devrait nécessairement être soutenue par une dissymétrie intellectuelle, ce qui n'est bien sûr pas le cas. Il faut donc jouer le jeu de ce fantasme.
Chacun·e va ainsi réprimer sa parole et son intelligence pour se conformer à l'ordre hiérarchique. La femme de ménage gardera pour elle une judicieuse observation, parce qu'elle sait par expérience qu'elle sera mal accueillie. Idem pour les stagiaires, comme les secrétaires et toutes les personnes prises dans des relations qui les considèrent comme des subalternes.
Dès l'enfance, nous apprenons à ne pas nous montrer plus intelligent·e·s que les personnes exerçant l'autorité. Le respect envers l'autorité doit se manifester par l'écrasement de sa propre intelligence. Parents et professeurs n'admettent pas que les jeunes puissent avoir des idées plus pertinentes que les leurs. Cette dissymétrie les encourage donc à répéter leurs convictions sans les penser plus loin. On apprend en famille et à l'école ce qu'il faudra rejouer dans la vie professionnelle : renoncer à exercer son intelligence parce qu'on incarne déjà soit l'autorité, soit le/la subalterne.
La hiérarchie n'est donc pas seulement un mode d'organisation abstraite des fonctions. Elle structure la façon dont nous nous comportons les un·e·s avec les autres. Cette « mise en scène de la vie ordinaire » pour reprendre le titre du sociologue américain Erving Goffman - qui a beaucoup apporté sur ce sujet - nous apprend à nous conformer aux postures attendues par les normes sociales.
Lorsque vous devenez tout à fait conscient·e de ces jeux de rôles, vous percevez la perte qu'ils engendrent et l'importance de les désamorcer. Cela vous conduira à accorder de l'importance à des voix et des personnes que vous sous-estimiez.
2. Le fonctionnement bureaucratique
Un aspect dominant de la culture industrielle est son idéalisation des process. Qu'une certaine division du travail puisse être profitable à l'ensemble de la société n'est pas une idée nouvelle. Déjà Platon la présentait dans sa République. Émile Dürkheim souligne aussi le renforcement du lien social par ce mode d'organisation du travail. Mais là où une certaine division du travail peut soutenir une cohésion organique de la société, l'hyperfragmentation des process produit quant à elle un fonctionnement bureaucratique défavorable à la vitalité du corps social.
Dans cette approche, il ne s'agit pas de coordonner différents métiers, mais de réduire au maximum la part de réflexion des agents. Les personnes doivent perdre le moins de temps possible à penser leurs gestes, que ce soit avant ou après les avoir effectués. Ces mêmes gestes sont pensés par d'autres qu'eux qui occupent un statut hiérarchique supérieur (voir point précédent) : chef·fe·s, expert·e·s, consultant·e·s, etc.
On a l'habitude de considérer l'optimisation du travail sous ce prisme, qui dissocie les petites mains des esprits qui les commandent. Cette approche bureaucratique peut bien favoriser la docilité, mais non la qualité du résultat à long terme.
Si l'on souhaitait plus d'engagement durable des personnes, moins d'épuisement, et si l'on souhaite accroître notre compréhension du travail qu'elles accomplissent, il faut solliciter leur implication intellectuelle au lieu de l'externaliser.
On doit à Hegel d'avoir mis en avant la fonction du travail pour l'humain :travailler n'est pas exécuter une tâche, mais manifester son esprit par son activité. En d'autres termes, le travail effectué laisse dans le monde l'empreinte qu'on a d'abord imaginée dans notre esprit. Avant même d'avoir besoin de reconnaissance par autrui, on a besoin de se reconnaître soi-même dans la façon dont on transforme de la matière. Et travailler, d'une façon ou d'une autre, c'est apporter des transformations dans le monde.
Le plaisir de faire des ricochets est du même ordre selon Hegel : il s'agit d'observer les effets dans le monde d'un geste qu'on a initié, d'abord mentalement. Marx, élève de Hegel, développera de près cette idée : là où l'araignée exécute ce que son instinct lui commande, l'humain accomplit ce qu'il imagine d'abord. Son travail matérialise son intelligence. Priver les personnes de cet aspect de leur travail en les réduisant à des rouages, c'est les déshumaniser ou, pour reprendre un terme de Marx, les aliéner.
Dans une organisation du travail respectueuse des êtres humains, les personnes sont les mieux placées pour penser ce qu'elles font : avant, pendant et après. C'est donc leur réflexion et leur parole qu'il faut solliciter.
3. La répression de l'intelligence individuelle au nom de l'intelligence collective
La coutume actuelle est d'encourager l'intelligence dans une entreprise par des ateliers dits d'intelligence collective. On a donc bien pris conscience que nos modes d'organisation verticale ne tiraient pas assez profit des idées des salarié·e·s. Mais on a pallié ce problème en le déplaçant : désormais, au nom de l'horizontalité, il faut endurer des heures d'ateliers formatés où les questions, les exercices, le lexique et les options à disposition sont configurés par des animateur·rices.
De la sorte, on continue d'empêcher ce qui pourtant conditionne l'exercice de l'intelligence : l'indépendance d'esprit et, par là, la possibilité individuelle de formuler des problèmes et des options de façon divergente, en interrogeant les présupposés de la question imposée.
La verticalité se poursuit donc. Les personnes qui pourraient apporter le plus par leur indépendance d'esprit sont celles qui souffrent davantage de ces dispositifs : d'une part, parce qu'elles sont conscientes de la perte intellectuelle et économique que cela représente, d'autre part parce qu'elles doivent s'auto-réprimer durant plusieurs heures pour s'adapter à la norme collective.
Si l'on peut évidemment identifier l'intérêt socialisant de certains espace-temps collectifs, ceux-ci supposent aussi souvent une forme de répression de l'intelligence. Les observations de Gustave Le Bon dans sa Psychologie des foules, prolongées plus tard par Freud, soulèvent des difficultés mais elles développent ce que nous avons pu observer à nos dépens : l'esprit de groupe favorise plus facilement le conformisme et l'irresponsabilité, que l'intelligence et l'autonomie.
Plus récemment, des travaux de psychologie sociale ont montré le rôle crucial exercé par celle ou celui qui, dans un groupe, élève le premier / la première une voix critique. Aussi longtemps qu'une voix divergente est tue, le groupe obéit aux normes, même injustes.
Pour solliciter et encourager l'intelligence des salarié·e·s, il faut donc les inviter individuellement à exprimer leurs pensées les plus singulières, en les libérant de diverses façons de l'influence du groupe. Ce sera là le meilleur moyen de les impliquer et d'apprendre d'elles.
4. Le souci d'occuper
Dans l'organisation traditionnelle du travail, une même peur est à la racine de nombreux dispositifs contre-productifs : la peur de payer à ne rien faire.Il faut donc contrôler non seulement le nombre d'heures, mais leur remplissage. Et de fil en aiguille, d'année en année, on ajoute des pratiques à d'autres pratiques sans questionner leur fonction. La « rationalisation » du travail signifie souvent une réduction des ressources, mais non une réduction des tâches. Parfois même, la réduction des emplois s'accompagnent d'un accroissement des tâches bureaucratiques. Cela n'est pas si contradictoire qu'il n'y paraît : la volonté de contrôler les personnes en les occupant conduit à augmenter les tâches inutiles.
Ce besoin d'occuper les salarié·e·s pour apaiser la peur des dirigeant·e·s est un inhibiteur d'intelligence majeur. Pourquoi ? Parce que notre psyche est ainsi faite qu'exécuter des tâches inutiles génère une insatisfaction qui peut devenir douloureuse à la longue. L'absurde est source d'insatisfaction. Pour se protéger au mieux de cette insatisfaction, les individus développent des défenses psychiques et se désintéressent de leur travail. Lorsqu'on doit faire quelque chose que l'on sait absurde, on se retire mentalement de l'action physiquement accomplie, et cela a un coût psychique.
Un moyen facile de contrecarrer cette pratique inhibitrice d'intelligence est de réduire les tâches sans supprimer les emplois. En éliminant intelligemment les tâches inutiles sans diminuer les ressources, on peut réduire le temps travaillé et augmenter les salaires. Un dispositif où chaque personne impliquée gagne à être intelligent·e gagne en vitalité et conserve ses ressources les plus précieuses : les personnes.
Ce 4ème point nous conduit donc au suivant...
5. La sous-valorisation salariale
Tout travail mérite salaire. Mais inconsciemment, le salaire annoncé ne détermine pas tant l'action que le degré d'implication intellectuelle que la personne y engagera. À bas prix, elle remplira le contrat de la façon la plus minimale. À prix élevé, elle y mettra tout son esprit et elle le fera d'autant plus facilement qu'elle éprouve de la satisfaction d'être économiquement reconnue. Incidemment, la survalorisation salariale (eu égard aux pratiques de sous-valorisation) est une manière judicieuse d'encourager les employé·e·s à accroître leur implication. A fortiori si l'on explicite qu'on fait appel à leur indépendance d'esprit.
On objectera qu'il n'y a qu'une façon de respecter un cahier des charges précis. Mais l'expérience prouve le contraire : le geste poursuivi jusqu'à sa fin avec le plus d'attention n'est pas semblable à sa version minimale. On peut jouer une partition de multiples façons et l'habileté même ne suffit pas à déterminer le geste : l'ardeur intellectuelle de la personne change tout.
D'une certaine façon, la vitalité d'une structure collective repose sur la capacité qu'y développent les personnes à penser et faire autre chose que ce qu'on attendait d'elles. Cela devrait définir au sens propre une culture d'entreprise, c'est-à-dire un patchwork original tissé par la libre intelligence de chacun·e.
Nous continuons avec la philosophe Peggy Avez une réflexion intitulée travailler autrement, perspectives philosophiques. Aujourd'hui une exploration de l'écart entre les statistiques et le réel : un éclairage philosophique du Genchi Genbutsu, un des premiers principes du Lean.
Citer une étude pour en inférer une règle ou un conseil pratique : voilà une technique d'accroche des plus efficaces sur le web. Les médias d'entreprise sont tout particulièrement adeptes de la rhétorique de type : « selon une étude X, il est prouvé qu'on a plus de chances d'obtenir Y si on est/fait Z ».
Pourquoi les statistiques nous séduisent-elles autant, alors que nous connaissons leur caractère approximatif ? Qu'attendons-nous de ces lectures ? Et surtout, en quoi peuvent-elles biaiser nos comportements en nous détournant de la réalité ?
Regarder du doigt ou par les statistiques
Dans cet article, je vous invite à interroger notre passion pour les études statistiques (ou ce qui s'en réclame) et à revaloriser des sources d'information primordiales dans nos vies : l'action et l'interaction.
Notre désir de prédire l'imprédictible
On y voit déjà plus clair lorsqu'on identifie les sujets pour lesquels nous cherchons l'appui des statistiques : ils concernent les comportements humains. Nous espérons que les études statistiques nous donneront des indications sur les actions à entreprendre pour obtenir tel ou tel résultat. Or, dans ce domaine, nous ne disposons que de probabilités. Pourquoi ? Parce qu'il en va de la liberté humaine. On peut bien observer des récurrences en comparant des actions et leurs effets. On peut aussi y détecter des normes sociales. Il n'en demeure pas moins que les actions humaines, parce qu'elles expriment une part irréductible de notre liberté, procèdent de ce qu'Aristote appelait les futurs contingents. Il entendait par là les événements imprévisibles, qui font intervenir la volonté humaine.
Pour Aristote, il n'y a de science que du nécessaire. En d'autres termes, seuls les événements nécessaires (ce qui se produit pour tous les cas et en tout temps) peuvent être scientifiquement connus et par là donner lieu à des prévisions. En revanche, il n'y a pas de science des futurs contingents : nous ne pouvons émettre à leur sujet que des probabilités.
Par ailleurs, du point de vue scientifique, une étude ne vaut que si elle est falsifiable, pour reprendre la thèse de l'épistémologue Karl Popper. Cela signifie qu'une hypothèse n'est scientifique que si l'on peut imaginer l'invalider par une autre expérimentation empirique. A contrario, une théorie ne peut avoir de validité scientifique si elle ne peut être invalidée. C'est un critère qui permet à Popper de distinguer la science de la religion (ou encore de la psychanalyse). Il me semble que cela permet d'évaluer aussi la non-scientificité des études statistiques dans lesquels nous cherchons des indications pratiques : leurs probabilités ne sont pas falsifiables puisque ce ne sont que des probabilités. En science, on sait qu'une bonne étude sert surtout à ouvrir la voie qui permettra de l'invalider.
Tout ceci, nous ne l'ignorons pas vraiment. Mais nous voulons nous rassurer. Notre peur de l'erreur nous conduit à rechercher les stratégies les plus probables et à leur accorder une certaine foi. Notre peur de l'erreur nourrit notre désir de croire et de faire comme si la proportion la plus élevée était la totalité des cas possibles. Nous supposons que nous aurons plus de chances d'obtenir un résultat similaire, en nous comportant comme la plupart des personnes ayant obtenu ce résultat. Bref, nous sous-estimons voire oublions subrepticement la proportion inférieure des cas, qui n'est pourtant jamais négligeable.
Le pouvoir de séduction des études statistiques mentionnées dans les articles de management ou de développement personnel repose donc sur notre goût pour les stratégies, propre à notre culture. Nous aimons penser en termes de stratégie l'articulation des actions (moyens) et des résultats (fins), quitte à occulter la part de liberté qui fait d'une action un miracle, pour reprendre le mot d'Hannah Arendt.
S'instruire par l'action et l'interaction
Ici comme dans d'autres domaines, les croyances ne nous rassurent qu'en détournant notre attention de l'incertitude et du risque qui font la réalité humaine. Bien sûr, l'action engage nécessairement la foi de celle/celui qui agit.. Le scepticisme le plus radical conduirait à l'inaction, comme l'objectait Aristote aux philosophes sceptiques de son temps. Il faut y croire suffisamment pour agir réellement. Mais en focalisant notre attention sur les conseils, principes, règles, stratégies qui s'appuient sur des probabilités statistiques, on en vient souvent à se priver des informations qui seraient réellement utiles pour agir : celles que l'on trouve dans le réalité observable par nous-même.
Sur quoi concentreriez-vous votre attention si vous ne la tourniez pas vers des conseils probabilistes ?
• l'action, envisagée comme expérimentation ;
• l'interaction, envisagée comme ouverture à la singularité du vécu de l'autre (collaborateur·rice, salarié·e, client·e...).
En agissant d'une certaine façon, vous vous instruisez auprès du réel lui-même. On a coutume désormais de dire que l'on apprend de ses erreurs. Mais il n'est pas certain qu'on puisse tirer des leçons ! Puisque, là encore, l'incertitude, l'irrégularité ou encore le miracle sont le terreau de nos pratiques. En revanche, chaque action nous permet de découvrir l'effet qui en adviendra, dans les circonstances multifactorielles qui lui sont propres.
Descartes distinguait utilement le plan du théorique et du pratique. Sur le plan théorique, il faut rejeter comme faux tout ce qui est incertain. Mais sur le plan pratique, il faut avancer sans attendre d'être certain·e. Si l'on ignore quel chemin nous permettra de sortir de la forêt, il nous faut avancer en dépit de l'incertitude, plutôt que de se laisser ralentir par des considérations abstraites.
Plus encore, nous cherchons souvent dans les études de quoi nous épargner les interactions avec les personnes concernées. Pour les employeur·e·s, le temps passé à lire des études et/ou les articles qui s'appuient sur elles peut bien donner des idées. Mais il ne leur apportera pas les informations qu'ils/elles ne peuvent obtenir qu'auprès de chaque salarié·e, collaborateur·rice, clien·e pris individuellement. Entrer en contact avec les cas réels, c'est-à-dire des personnes en chair et en os, demande plus de soin, de respect et d'attention que d'élaborer des stratégies abstraites. C'est aussi pour cette raison que les interactions sont plus instructives. Elles nous livrent ce qu'on ne trouvera jamais dans des études : la part de miracle qui fait la part humaine de nos entreprises.
« Mais comment vais-je faire pour ajuster les priorités ? » C’est par cette question existentielle qu’Ophélie a réagi quand nos tickets ont définitivement mutés et sont devenus des kanbans numériques.
Il faut dire que la dernière transformation avait été la plus radicale : non seulement la « date de lancement » remplacerait la « date de fin » comme tri pour ordonner les tâches de l’équipe technique mais le champ même ne serait plus modifiable une fois la date passée, quand bien même la tâche n’aurait pas été commencée, quand bien même un autre client apporterait une tâche plus urgente ou plus importante. Cette date est bien sûr cruciale : elle correspond chez nous à la date de la demande initiale pour un client externe ou, pour un client interne, à la date à laquelle on anticipe des disponibilités au sein de l’équipe technique. À cause d’une simple remarque d’un Senseï, glissant au détour d’une conversation qu’il ne comprenait pas l’ordre des tickets de chaque développeur, elle perdait la capacité de modifier en continue le planning des tâches de toute l’équipe technique, d’en décaler une ou d’en repousser une autre au gré des demandes pressantes d’un client ou des attentes débusquées chez un prospect.
Il faut dire que les transformations précédentes avaient eu moins d’impact sur elle. Il y avait d’abord eu une autre remarque lors d’un gemba walk avec notre Senseï : « pas de chaîne d’aide, pas de kanban . » Nous avions alors ajouté un bouton « déclencher l’andon » sur chaque ticket. En cliquant dessus, le développeur indique qu’il a besoin d’aide : son responsable est automatiquement affecté au ticket et un message est envoyé sur notre outil de clavardage interne. Ce bouton venait en compléter un autre, « déposer dans le bac rouge » : celui-là permet au développeur de préciser que la demande en cours de traitement est problématique. Il lui permet de matérialiser qu’il faudra revenir sur l’ouvrage afin d’explorer les causes racines du problème.
La liste des tickets passés par « le bac rouge » ou « l’ andon » était devenue une mine d’or pour les « gemba code » : en prenant le temps d’explorer en détail tel ou tel ticket, en explorant finement des lignes d’un fichier de logs ou en décortiquant du code source, les membres de l’équipe technique ont mis en lumière des erreurs de conception, des manques de formation, des écarts de sécurité, des déficits de connaissance. Autant de découvertes qui sont devenues un mur d’amélioration continue où chaque développeur et développeuse peut venir puiser - quand il ou elle passe au bureau.
Un contexte propice pour ces explorations est l’arrivée de PHP8. Cette nouvelle mouture de notre langage de programmation nous oblige à dépoussiérer un grand nombre d’acquis sédimentés. Par exemple quand on a découvert que notre serveur d’intégration continue n’affichait pas les notices, c’était que la procédure pour mettre à jour un serveur n’était plus à jour, pas simplement un fichier d’initialisation de PHP. Ou alors quand un plugin spécifique a commencé à nous transmettre des erreurs, c’était au mécanisme de garantie de comptabilité avec tous les plugins qu’il fallait répondre, pas simplement au client impacté.
Mais c’est en bloquant leur date de démarrage, en matérialisant le lanceur donc, que les kanbans ont débordés de l’équipe technique pour toucher les équipes en prise directe avec les clients et utilisateurs finaux de nos logiciels. Et d’un pilotage opérationnel avec une date de livraison plus ou moins en accordéon, on a basculé à un pilotage par une date de démarrage, gravée dans le marbre. Bien sûr cela fonctionne parce qu’à notre niveau de maturité, on sait qu’une tâche ne devrait pas prendre plus de 8h de travail effectif et que par conséquent une tâche entamée un jour J devait être « à vérifier en production » à J+1. Et désormais on s’assure qu’une tâche plus compliquée que les autres ne glissera plus imperceptiblement jusqu’à la fin du projet : on veut que les problèmes remontent vite à la surface. Et que telle autre autre, plus complexe, ne sera pas laissée au spécialiste de la technologie à mettre en place : on veut que la formation nécessaire puisse s’effectuer au plus près du terrain. En perdant le « choix » de prendre un ticket plus facile ou plus commun, les développeurs gagnent des opportunités de monter en compétence.
Car les kanbans font système : ils sont un véritable cadre transactionnel entre client et producteur, garanti par la réactivité et le soutien du reste de l’organisation. Par son pouvoir révélateur d’écarts et de problèmes en tout genre (la vertu du lead-time), ils impliquent un tissu de confiance entre les partis prenantes et offrent d’innombrables opportunités d’apprentissage.
Bien sûr cette belle mécanique peut s’interrompre à tout moment. Nous avons eu l’occasion de le vérifier quand une développeuse s’est retrouvée en arrêt maladie alors qu’un développeur était contraint de prendre des jours de congés pour s’occuper de son tout petit garçon. Les kanbans ont commencé à se figer, déclenchant des andons automatiques : Ophélie s’est retrouvé au coeur des échanges avec toutes les parties-prenantes. Non pas parce que la tâche était déjà bien en retard mais parce que la date de démarrage était dépassée, soit - du point de vue du client - au moins 24h à l’avance. Le temps de s’accorder avec les uns et les autres et de vérifier les priorités de chacun. Le temps d’exiger de meilleurs outils pour son travail au quotidien. Le temps de construire la confiance au delà de l’équipe, avec les clients et les utilisateurs. Le temps de trouver la pleine mesure de sa fonction, « Customer Success Manager ».
Nous reprenons avec la philosophe Peggy Avez une réflexion intitulée travailler autrement, perspectives philosophiques. Aujourd'hui une exploration du télétravail.
Quels que soient ses avantages pratiques, nous observons que le télétravail renforce l’angoisse.
Et l’on peut anticiper dès maintenant que le futur déconfinement des lieux de convivialité et de culture ne suffira pas à juguler cet effet. Pourquoi ?
Parce que si l’on continue de penser que le télétravail, c’est le même travail effectué de la même façon mais à distance, on continuera de durcir des routines qui nous privent d’un besoin fondamental et trop méconnu : nous avons besoin d’inattendu.Pourquoi et comment en tenir compte pour repenser nos pratiques ?
Passage - inopiné - d'une péniche sous le pont à fourchon, février 2021
Ce qu’on ne trouve pas chez soi
Il y a bien sûr des avantages au télétravail. On jouit du calme (si l’on n’a pas ses enfants à côté de soi), du gain d’énergie autrefois perdue dans les transports (si l’on n’a pas à réinstaller chaque matin son espace de travail au milieu des jouets) et de la non-interruption (si l’on peut désactiver toutes ses notifications ). Et plus encore, le chez soi peut être un lieu rassurant, ce qui dans ce cas favorise notre productivité et notre sérénité.
Mais ce que nous découvrons, c’est que nous n’avons pas seulement besoin d’un bureau ergonomique, d’échanges planifiés via tel ou tel réseau social, d’activité physique et de repos. Nous avons besoin de tout ce qui nous fait vivre des choses que nous n’avons pas anticipées.
Tomber nez-à-nez avec quelqu’un qu’on n’avait pas prévu de voir, assister à une scène cocasse (agréable ou non), surprendre une conversation à la table d’à côté, aider quelqu’un ou demander de l’aide sans l’avoir organisé, être dérangé·e par tel ou tel événement impromptu, se plaindre du bruit ambiant ou d’une panne de la photocopieuse, rencontrer un regard ou un sourire inopiné, etc. Indépendamment de leur caractère plaisant ou irritant, ce sont là des opportunités qui ne se présentent pas dans les 8h de solitude télétravailleuse... La machine à café offre plus d’aléas que le canal #machineacafe d’une application.
On a longuement répété l’angoisse de l’incertitude. Mais on sous-estime le caractère équilibrant et anxiolytique de l’inopiné. Il y a sans doute des inattendus dont on se passait bien. Mais ils ont une vertu : ils nous rappellent au réel et détournent notre attention quelques secondes de notre planning, de nos objectifs, de notre course perpétuelle (même confinée !), de nos obsessions et de nos écrans. L’inattendu nous implique dans la vie fortuite et fantaisiste du monde. Il nous expose à la vie inconnue des autres, sans générer en nous le sentiment d’impuissance exalté par les réseaux sociaux.
Le télétravail ne crée pas l’angoisse : il l’exacerbe
Notre culture tend à psycho-pathologiser tout ce qui enraye la machine productiviste. À défaut de s’adapter à la vulnérabilité humaine, donc à tout ce qui nourrit notre créativité, elle y voit un obstacle à étouffer.
Il en va de même pour l’angoisse. Nous avons pris l’habitude d’y voir une faiblesse psychologique, ce qui est une façon de culpabiliser voire stigmatiser les personnes qui en souffrent trop pour le cacher.
Or, ce que de nombreux philosophes comme Pascal, Kierkegaard, Heidegger, Sartre comme toute l’histoire de la poésie (au moins !) soulignent est radicalement différent : l’angoisse est une dimension de l’existence à laquelle personne n’échappe. Dès lors que nous avons conscience de notre temporalité et de notre mortalité, dès lors que nous questionnons le réel dans son ensemble, ou encore quand nous sentons le poids de nos décisions, la réalité et sa part d’absurdité nous affectent. On ne vit pas humainement sans éprouver dans sa chair le vertige face à une extra-ordinaire réalité.
L’angoisse n’est donc pas en soi une maladie : c’est une expérience existentielle fondamentale parmi d’autres. Elle suspend ponctuellement le cours ordinaire de la vie qui, à rebours, la régule. Car fort heureusement, nous sommes diverti·e·s de nos angoisses de multiples façons. Et nous en sommes particulièrement diverti·e·s par les détails anecdotiques qui assaisonnent nos vies et nous les rendent familières.
Mais lorsque notre environnement familier se trouve drastiquement réduit et isolé, l’inopiné se raréfie. Il n’est plus grand chose qui nous détourne de nos angoisses. Nous pouvons chercher diversion sur nos écrans, mais nous risquons d’y trouver aussi un sentiment d’impuissance inévitablement anxiogène.
Favoriser l’inopiné
Il ne faut bien sûr pas incriminer le télétravail dans l’absolu. Ce qui est en jeu ici concerne notre attachement aux vieilles pratiques professionnelles, dont nous connaissons pourtant déjà les effets dévastateurs. Nous savons depuis longtemps que rester présent·e 8h devant son écran ne favorise ni la productivité, ni le bien-être. Nous savons que la réunionnite produit des pertes considérables. Nous savons que les routines rigides visent à surveiller, non à produire et que par là, elles créent un sentiment de vide et d’absurdité : l’angoisse. Au fond, l’anxiété des employeur·e·s les conduit à imposer des routines professionnelles non-productives et anxiogènes. Ce mécanisme est exacerbé par les conditions d’un télétravail inadapté où réunions, présentéisme et communication violente s’amplifient.
Nous le devinons et l’espérons : l’avenir du travail tient à notre capacité d’imaginer d’autres façons de travailler, qui devraient au minimum tenir compte de l’angoisse humaine. S’interroger sur l’intérêt de telle ou telle visioconférence, faciliter le travail asynchrone, proposer des balades audio, injecter de l’inhabituel d’une façon ou d’une autre... Casser les routines, libérer du temps et repenser nos espaces pour démultiplier l’inattendu en est une clé.
La vie professionnelle fait partie de la vie tout court qui n’engage pas seulement le travail, le relationnel, l’économique et le culturel comme des domaines séparés. Elle n’est pas non plus seulement faite de rendez-vous planifiés. Mais elle est faite d’anecdotes et de détails fantaisistes que nous n’avions pas anticipés et dont nous avons fondamentalement besoin.
Courant 2006, nous avons expérimenté au sein de l’équipe les pratiques agiles « au pied de la lettre » : les pratiques de développement hérités d’Extreme Programming déjà rodées (tests unitaires et déploiements automatisés en particulier), on a commencé à systématiser les sprints et les rétrospectives.
Les premiers ont vite disparu : en lisant le livre de Mary & Tom Poppendieck, Implementing Lean Software Development: From Concept to Cash, on découvrit une théorie et des arguments pour arrêter les lots de 5 ou 10 jours de développement à pousser en production et dès lors on plongea le cœur léger dans le flux continu. Pas la peine d’attendre la fin de la semaine pour passer en production une correction de bug ou telle nouvelle fonctionnalité, surtout avec notre déploiement automatisé et régulier.
Les rétrospectives ont vécu une mise à l’écart moins glorieuse. Les toutes premières avaient pourtant trouvé un écho pertinent : « enfin du temps pour échanger sur nos pratiques et nos sensations d’équipe ». Mais très rapidement le souffle est retombé : nous n’avions vite épuisé les choses intéressantes à nous dire ces « vendredi après-midi sur deux ». Et faute d’entrain (de clients ?), cette pratique s’est perdue dans les limbes de nos temps de cerveaux disponibles.
Quinze années plus tard, je me rends compte qu’il nous manquait peut-être un « bac rouge » : une liste de problèmes que nous aurions réussi à corriger sur le moment (la base du métier quand même) mais qui méritaient amplement qu’on s’y attarda, qu’on les décortiqua, qu’on les traita à la racine. Non pas pour mieux les corriger la fois suivante, mais pour faire en sorte qu’ils n’apparaissent plus, ni demain ni après-après-demain.
Résultats de l'exploration du bac rouge chez No Parking en novembre 2020
Bien sûr une équipe agile qui utilise la rétrospective pour explorer son bac rouge aura fait le moitié du chemin : un senseï viendrait et demanderait, avec cette fausse naïveté qui masque sa longue expérience de terrain et sa ribambelle d’anecdotes : pourquoi l’équipe attend-elle ce « vendredi après-midi sur deux » pour avoir cette discussion ? Et pendant que l’équipe profitera du silence qui venait de s’installer, le senseï continuera de se demander pourquoi lui, il n’avait pas suivi le conseil de Kent Beck dans le chapitre 19 sur le Toyota Production System de leur Extreme Programming Explained, Second Edition : je vous recommande de commencer par le livre « Toyota Production System » de Taiichi Ohno. Nous sommes en 2020, c'était en 2005.
Avec le printemps arrivent les stagiaires : l’année 2020 ne faisant pas exception, j’avais commandé fin janvier deux grandes planches de contreplaqué en 250 x 80 cm. Car chez No Parking, on fabrique effectivement nos propres bureaux en bois : cela permet d’obtenir des dimensions qu’on ne trouve pas dans le commerce. La série 2020 devait être la troisième. Rien de bien compliqué : les pieds et les contreforts sont en sapin rouge qu’on peut trouver facilement chez un grossiste du coin, avec une section sur-mesure au passage.
Bureaux en construction
Bien sûr le coronavirus a bousculé ces plans. Les stagiaires ont directement commencé en télétravail. Et j’ai assemblé tous les morceaux pendant le confinement, lors de cette époque si particulière où le temps faisait le yoyo : tantôt à s’accélérer, quand il fallait mettre en place tous les nouveaux motifs d’absences pour les clients d’Opentime; tantôt à s’étirer, quand il fallait attendre le déconfinement avec un mélange d’appréhension et de soulagement.
Bureaux encore en construction
Si le résultat fera peut-être hurler un ébéniste pro (ni tenons, ni mortaises), chaque bureau est quand même facilement démontable, entièrement recyclable et surtout reproductible.
Nouveaux bureaux quasi-finis
La prochaine fois, je serai juste plus vigilant sur les produits de finition : plutôt que d'appliquer une huile "incolore" qu'on ne retrouvera plus quelques années plus tard, mieux vaut utiliser dès le départ de la cire d'abeille. Cette quatrième série aura donc sa propre histoire. La première a commencé en 2003 et tient toujours debout : pas certain que des bureaux en aggloméré auraient tenu aussi bien dans le temps avec nos 6 déménagements.
De récentes études font émerger un autre bienfait de ces structures en bois. En effet en auto-régulant le taux d’humidité, elles contribuent à améliorer la santé des personnes. Le gouvernement japonais avait déjà fait un constat similaire : les élèves attrapent moins la grippe quand l’école est en bois. Avec l’épidémie qui perdure, il se pourrait bien que la prochaine étape chez No Parking soit de remplacer une partie des dalles du faux-plafond par des planches…
Nous poursuivons avec la philosophe Peggy Avez une réflexion intitulée travailler autrement, perspectives philosophiques. Aujourd'hui le troisième volet.
Nous n'avons pas attendu la crise du Covid pour questionner le sens du travail (son adéquation avec nos valeurs, son utilité sociale, son impact sur le monde à venir, la satisfaction qu'il nous procure, etc.). Mais en nous contraignant à rester chez nous, le confinement total ou partiel a ajouté un facteur révélateur inédit : il a fallu travailler à proximité de ce dont la vie professionnelle jusqu'alors considérée comme « normale » nous éloignait. Et ce déplacement modifie en profondeur le regard qu'on porte sur notre activité.
Au-delà des contraintes familiales et logistiques
En grec, tele signifie loin. Loin des locaux professionnels, des collègues, des habitudes collectives qui définissent habituellement le lieu de travail, le télétravail attire notre attention sur la distance qui sépare notre activité de ses conditions d'exercice dites « normales ».
Sous cet angle, l'incompatibilité entre les circonstances du domicile et celles du travail saute aux yeux et l'on a fréquemment évoqué les difficultés qu'elle soulève. Les contraintes familiales et logistiques de la vie à domicile ne font pas toujours de bonnes conditions de travail, a fortiori lorsque l'environnement - professionnel et personnel - n'en tient pas compte.
Mais en ne percevant le télétravail que comme une forme d'éloignement, on passe à côté d'une donnée qui a pourtant été très présente dans les expériences des un·e·s et des autres : le télétravail nous rapproche de nos vies et de ce qui nous tient à cœur. Que ce soit pour en savourer ou en regretter tel ou tel aspect, nous avons éprouvé ce que signifie être « chez soi », avec ou sans les êtres et les éléments qui nous sont chers.
Le paradigme culturel de la « mise à distance »
En réalité, le télétravail a aussi été une forme de reconnexion, en restaurant un lien soutenu avec les éléments de notre vie dite « privée », en fait notre vie tout court : le rythme vital, les besoins relationnels, les aspirations dont la course quotidienne nous tenait éloignés. En télétravaillant, on cesse d'être de passage chez soi. Et même lorsque cette reconnexion est désagréable, même lorsqu'elle nous fait sentirce qui ne va pas, il n'en demeure pas moins que notre regard s'est déplacé, s'est rapproché de ce qui fait la texture de notre vie.
Paradoxalement donc, le travail à distance nous rapproche nécessairement de ce dont le travail en présentiel nous éloigne : nos sensations singulières, nos besoins propres, nos douleurs, nos corps, nos vies, les conséquences de nos actes sur le monde, etc. Cette mise à distance est l'effet de la rationalisation qui a tant structuré notre culture. Depuis les travaux de Max Weber et les nombreuses analyses critiques de la rationalité instrumentale (Adorno et Horkheimer, Marcuse, Arendt, Gorz, pour ne citer qu'eux), ce paradigme de la distanciation de soi envers soi par l'abstraction stratégique a été largement travaillé.
Et nous observons largement ses conséquences pathologiques, que ce soit sur un plan psychologique (burn out, dépressions sévères, par exemple) ou sociétal (la désolidarisation, l'isolement, le sentiment d'impuissance à l'égard des enjeux majeurs de la vie en société).
Notre culture capitaliste est si imprégnée de cette norme de la mise à distance, que nos efforts thérapeutiques consistent souvent à nous reconnecter avec nos sensations et avec le monde qui nous entoure. La vogue de la pleine conscience s'inscrit dans cet effort pour aller mieux. Nous sommes tellement habitués à faire abstraction de tout ce qui est vital (pour soi mais aussi pour les autres), pour gérer ou administrer nos conditions de vie qu'il nous est devenu très difficile de retrouver ce contact immédiat qui fait l'épaisseur d'actes aussi simples que ceux de vivre, aimer, soigner, sentir.
Rapprocher le travail ... et nos vies
On comprend alors que cette proximité retrouvée, dans l'urgence, avec leur « chez soi » - leur espace, leurs proches, leurs aspirations - a pu chambouler le regard que de nombreuses personnes portent sur leur travail ou sur ses conditions d'exercice. On comprend que ces derniers mois ont pu inciter les gens à entreprendre les changements importants auxquels ils ne songeaient jusqu'alors qu'en passant (chez eux).
Mais nous gagnerions aussi à repenser le travail sous ce jour, sous de nouvelles conditions.Que signifie travailler non pas loin des locaux de l'entreprise, mais au plus près de nos vies ? Quel impact ce déplacement pourrait-il opérer dans les décisions professionnelles que nous prendrions ?
Dans son livre Rêver l'obscur, la penseuse activiste et écoféministe Starhawk invite à repenser nos sociétés selon un autre paradigme que celui de la mise à distance : le paradigme éthique de l'immanence. Elle nous invite ainsi à imaginer un monde professionnel où la proximité de nos intérêts vitaux et affectifs remplacerait l'impératif abstrait du pouvoir et du calcul stratégique.
Imaginons un instant un autre type de restructuration : nous faisons entrer les soins des enfants dans le monde du travail. Ils ne seraient plus isolés dans des jardins d'enfants, mais feraient partie de notre activité journalière, comme dans un village tribal.
Ici, Starhawk n'évoque pas le télétravail, mais un rapprochement déconfiné de deux sphères aujourd'hui artificiellement séparées : le travail et le soin. Ce que le télétravail bouscule dans nos réflexions se joue ici : non pas dans le fait de travailler à distance, mais dans le fait de travailler en touchant simultanément des aspects de nos vies habituellement isolés.
Or, lorsque vous travaillez sous les yeux de vos enfants, dont vous prenez soin vous même, vous regardez votre propre travail autrement. Vous le réinscrivez dans le monde, dans une temporalité et dans une vitalité dont il n'est plus possible de faire abstraction. Ce changement de regard est crucial car il nous permet d'orienter nos actions et nos décisions dans une perspective humaine plus large, plus concrète. Nous redevenons capables de leur donner une signification pratique.
En rapprochant les sphères du professionnel et du soin, en nous rapprochant les un·e·s des autres, il nous arriverait par exemple de caler une réunion à un moment où l'on s'occupe des enfants, d'avoir un rendez-vous professionnel au zoo par exemple.
Les décisions prises en donnant la main à un enfant et en observant les éléphants et les tigres seraient peut-être moins nombreuses, mais elles seraient plus ancrées dans l'humanité que celles prises en prenant un troisième Martini lors d'un élégant déjeuner sans enfants. Elles protègeraient aussi sans doute mieux la vie.
Les enfants nous placent sous les yeux l'importance cruciale de la vie, dont nous avons pris l'habitude pathologique de nous déconnecter. L'exemple qui peut paraître anecdotique dans le livre de Starhawk a pris une texture ordinaire ces derniers mois. Nos réunions en visio bousculées par telle ou telle interruption familiale sont devenues plus ordinaires et réinjectent dans nos vies une touche de réconfort !
Cette connexion du soin, de la vie, de l'amour, avec le monde du travail a dessiné un possible que de nombreuses personnes souhaitent creuser plus largement. Aussi difficile cela puisse sembler, il s'agit sans doute là du paradigme incontournable pour améliorer nos conditions de travail, c'est-à-dire y intégrer nos sensations et nos aspirations.
Ces dernières années, « remettre l'humain au centre de l'entreprise » est devenu un slogan confusément affiché, où cet humain a tous les atours de celui qui y est déjà au centre, c'est-à-dire dans sa partie supérieure. Mais cette année 2020 nous a donné l'occasion de découvrir autre chose : la nécessité de réorganiser la place du travail, à l'aune d'un souci fondamental pour notre vitalité, pour tout ce qui fait nos vies.
La vie du site de No Parking s’est longtemps résumé à une vitrine institutionnelle : une présentation succincte de l’entreprise, des pages pour présenter nos différentes prestations techniques et une autre pour parler de notre produit principal - Opentime, une liste mise à jour périodiquement avec nos offres d’emploi ou de stage.
Alors même que nous n’acceptons plus de nouveaux clients en prestation (pour faire du sur-mesure donc) depuis plus de 5 ans. Alors même que nous commercialisons un deuxième produit - Fissa - depuis 2 ans. Alors même que nous avons dans les cartons un troisième produit (on vous en dira plus dans de futurs billets).
Il était temps de faire évoluer cette vitrine et de la penser différemment. Ce sera donc un blog : l’occasion de tisser des liens avec ceux qui s’intéressent à notre petite utopie de tous les jours. En effet j’ai fait le choix de ne pas ouvrir le capital à des fonds d’investissement et de maîtriser notre croissance : après 15 années, nous sommes encore moins d’une dizaine à s’occuper de nos quelques 150 clients. Au mois de septembre 2020, cela donne un gérant, cinq salariés et un stagiaire.
Mais cela ne veut pas dire qu’on reste les bras croisés : on écrit du code (PHP, Javascript, Kotlin ou Swift) et on prend soin de nos utilisateurs, on tente de faire de la qualité au quotidien et on profite de la vue sur Euratechnologies et ses jardins Le Blan-Laffont. Et on partagera cette construction utopique au fur et à mesure, à commencer par cette quête des 32h… À suivre sur ce blog donc, mais aussi via Twitter, LinkedIn ou la liste de diffusion.
Vue sur Euratechnologies depuis les bureaux de No Parking
Ma première lecture Lean fut Implementing Lean Software Development de Mary Popendick : nous étions en 2007 et je n’en avais retiré qu’une idée, celle du flux. À l’époque, l’équipe technique de No Parking se sentait à l’étroit dans les itérations « agiles » : pourquoi attendre la fin du sprint en cours, une semaine le plus souvent, avant de pousser en production une correction de bug ou une demande client ? Nous avions déjà des outils de tests unitaires et de déploiement automatisé et le rythme imposé par le sprint ressemblait trop à un carcan. Avec la bénédiction du Lean, nous avons donc mis à la poubelle les itérations. Et nous en avons profité pour appeler nos post-its des « kanbans » et notre tableau au mur un « management visuel », avant de nous auto-déclarer « praticiens Lean ».
Ce n’est que 10 ans plus tard, que j’ai décidé de m’y replonger et d’y entraîner toute l’entreprise. No Parking allait bien (la société était toujours rentable) mais j’avais l’impression qu’on ronronnait un petit peu : l’énergie des débuts me manquait alors que l’envie de franchir un cap était encore présente. Lors de ma colonie de vacances annuelle pour informaticiens, j’ai repensé à ces confrères passés par la case Lean et je suis tombé sur une vidéo de Theodo : il était plus que temps de creuser un peu plus.
Je prends donc contact avec un premier coach Lean (ce sera Régis) : sous sa houlette, je replonge dans le Gemba. Dès la première journée, je redécouvre l’importance des 5 pourquoi et du lead time. Au fur et à mesure, nous mettons en place un certain nombre de routines : certaines sont quotidiennes (comme le petit train avec 6 tickets terminés ou l’exploration d’un problème interne), d’autres hebdomadaires (tel l’objectif d’un nouveau client signé par semaine) ou annuelles (un kaizen pour chacun).
En parallèle, j’entame une grosse acculturation livresque (qui continue encore) :
Chaque lecture - ou presque - est l’occasion de comprendre un nouvel aspect du Lean et de tester des trucs dans l’équipe. Ainsi les tableaux de management visuel se sont enrichis avec l’avancement des kaizens individuels (grâce au livre de Isao Kato et Art Smalley), puis avec le takt produit (grâce à celui de Cécile Roche et Luc Delamotte) et encore avec les lignes parallèles du macro-planning d’Opentime (grâce à celui de James M. Morgan et Jeffrey K. Liker).
Dans ma manière d’apprendre, un deuxième point important est d’intégrer un « groupe de pratique ». Pour approcher cette nouvelle communauté, il y a bien sûr les évènements physiques comme le Lean Tour à Lille (en 2018 et en 2019), le Lean Summit à Lyon (en 2018), les séminaires « Lean en France » à Paris ou les visites du Cercle de l’Excellence Opérationnel des Hauts-de-France. Mais bien d’avantage, il y a les rencontres, les échanges avec d’autres praticiens qui tentent d’explorer le même chemin, parfois avec un peu d’avance ou dans un autre domaine. Avec souvent la simplicité d’entendre « ma porte t'est ouverte quand tu veux » : leur Gemba est aussi une inspiration.
Reste qu’il y a un passage obligé qu’on appelle « Senseï » dans la communauté Lean. Elle - puisque dans mon cas il s’agit de Sandrine - vient m’ouvrir les yeux sur le seul Gemba qui compte pour de vrai, le mien. Et nous repartons de ce terrain, toujours : une réclamation d’un utilisateur, une visite chez un client, un bug en production ou un retard de livraison servira de point d’entrée pour toujours améliorer la qualité, les délais, la satisfaction. On appelle « faire l’hélicoptère » ce yo-yo incessant entre le micro des expériences de terrain et le macro de la stratégie, de la vision, des valeurs et du marché. Surtout, il faut apprendre à lâcher prise, faire confiance à ses équipes et laisser la « magie » du Lean opérer. Chez nous, cette magie s’appelle désormais les 32 heures pour tout le monde.
Reste qu’il faut faire les premiers pas.
Pour le premier je conseille Le Gold Mine, un récit lean . Le roman - écrit à quatre mains par un vétéran du Lean en France (Freddy Ballé) et son fils, écrivain et initiateur de l’Institut Lean France (Michael Ballé) - vous fera découvrir les concepts de base du Lean dans une forme agréable, avec même une dose de suspense. Et attention vous risquez même d’enchaîner rapidement avec la suite, The Lean Manager !
Le deuxième pourrait être The Toyota Way: 14 Management Principles from the World's Greatest Manufacturer : il est en anglais (pas si facile quand on est franco-français, mais personne ne vous a dit que le Lean était facile), il parle de Toyota (c’est quand même avec eux et au Japon, à 豊田市, que l’histoire à commencé) et je ne l’ai pas lu (mais avec sa structure en liste, il devrait être assez digeste pour passer à l’action).
Et le troisième sera The Lean Sensei. Il devrait vous convaincre de chercher enfin un - ou une - Senseï, de le solliciter et de lui faire confiance avant d’appuyer sur l’accélérateur.
Depuis le 1er juillet 2019, tous les salariés de No Parking en CDI depuis au moins un an peuvent poser chaque semaine un jour plus. Et donc travailler 32h tout en conservant l’intégralité de leur salaire. Pour l’instant il s’agit d’une expérimentation d’un trimestre (jusque fin septembre 2019 donc) mais c’est surtout un nouveau pas vers le grand objectif que la boîte s’est fixé en 2018 : offrir à toute l’équipe des semaines de 4 jours sans perte de salaire, et surtout à qualité de service égale pour tous les clients.
Pour y arriver, nous nous sommes appuyés sur le Lean : une démarche d’apprentissage fondée sur la satisfaction des clients et le respect des équipes. Cela passe par un produit de qualité (dans notre cas, c’est Opentime bien sûr avec ses 37342 tests unitaires), par des salariés mis en condition de réussir (aussi bien leur kaizen personnel que la production au quotidien et les objectifs de la structure) et par une formation de terrain (à commencer par celle du dirigeant sous la houlette d’une senseï). Rendez-vous dans quelques mois pour vérifier si nous avons transformé l’essai.
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