Pour qui est ce tableau ?

Moi — Excuse-moi de ce contre-temps, j’ai été pris par un coup de fil impromptu.

X — C’est surtout à moi de te remercier : tu n’étais pas obligé de me faire la faveur d’un accueil dans tes bureaux. Et puis je n’ai pas perdu mon temps : comme tu m’en avais donné l’autorisation, je me suis promenée à travers ton obeya.

Moi — C’est vrai qu’il y a de la matière avec des zones pour chaque kaizen, celle pour la Chief Engineer, celle de nos « gembas code » réguliers et mes propres tableaux de pilotage financier.

X — Je te confirme qu’on voit bien que ceux-là vivent : il y a des post-its, des traces de feutre ou de crayon gris.

Moi, curieux — Alors ? Je sens que tu as vu quelque chose qui te chiffonne.

X — Il y a bien cette zone là-bas : vous y avez scotché un tas de captures-écran. Vous avez obtenu une belle grille, plutôt harmonieuse, mais il n’y a aucune trace de vie. D’où ma question : qui la maintient dans ce coma artificiel ? Et plus important encore : pour qui ?

Des tableaux dans le vent
Des tableaux dans le vent

Moi — Je vais répondre à tes questions, mais laisse-moi faire un bref aparté : je suis toujours bluffé quand un sensei passe dans des bureaux et « voit » un truc aussi important et aussi rapidement.

X — En même temps, c’est à ça qu’on s’entraine tous les jours.

Moi — Donc pour revenir à ta question : lors de sa veille régulière, notre responsable communication en profite pour alimenter ce mur de la concurrence avec principalement des captures-écran de leurs sites web. Il nous a beaucoup servi pour affiner son périmètre quand elle est arrivée dans l’équipe. Et il me servait aussi dans mon rôle de Chief Engineer.

X — Et pourquoi ce mur est-il mort alors ?

Moi — Alors qu’elle prenait la mesure de son poste et qu’elle gagnait en confiance et en autonomie dans ses tâches, mon rôle aussi a changé : si je reste bien le gérant de No Parking, la casquette de Chief Engineer pour Opentime s’est déplacée sur la tête d’un autre membre de l’équipe.

X — Et tu l’aurais privé de ce qui te nourrissait !

Moi, espiègle — Vas-y tu peux y aller ! J’ai compris… Et je suis déjà en train de réfléchir comment redonner vie à ce mur depuis 5 minutes.

X, intriguée — Alors !?

Moi — Je sens qu’on va reparler « émotions » avec la Chief Engineer. Cela fait bientôt un an qu’on tourne autour : ce mur de la concurrence nous offre un beau terrain d’exploration pour un prochain gemba. Il devrait au passage changer de propriétaire.

Chercher le respect en équipe

X — Excuse-moi du retard, j’ai eu du mal à me mettre en route ce matin.

Moi — Ce serait facile de t’excuser si tu étais plus souvent à l’heure qu’on s’est fixé. J’ai l’impression que tu décales régulièrement tes arrivées le matin depuis quelques temps.

X — Mais je rattrape toujours le soir ! Je fais bien mes heures.

Moi — Encore heureux, sinon nous aurions eu cette discussion un peu plus tôt.

X — Ce n’est pas très grave alors ?

Moi — On est effectivement d’accord que ce n’est pas une question de temps de présence.

X — Est-ce que je fais mal mon travail ?

Moi — Je te propose de se concentrer sur un autre moment dans une journée : que dirais-tu à un collègue qui arriverait tous les jours avec 10 minutes de retard à la pause café du matin ?

À la recherche d'un reflet dans le miroir

X — Que c’est dommage. Qu’il s’auto-exclut.

Moi — Est-ce que tu peux imaginer qu’il soit obligé de créer ce décalage ? Qu’il ait une réunion fixe avec un client à l’étranger dans le cadre de son projet. Ou qu’il préfère éviter l’un ou l’autre à cause d’une vexation malheureuse ou d’une promotion perdue.

X — Effectivement ça changerait du tout au tout.

Moi — Dans le cadre de la formation Job Relations du TWI, un des ancêtres du TPS, on reçoit souvent une carte : le premier item de cette carte suggère de « recueillir et vérifier les faits pour se faire une opinion ».

X — Il pourrait aussi avoir envie de partir le plus vite possible le soir pour récupérer ses enfants à l’école et donc limiter son temps de pause au maximum, on peut imaginer des tas de scénarios différents…

Moi — Contre-intuitivement l’effort du respect, c’est plutôt d’en donner. Pas de le recevoir. Encore moins de l’exiger. C’est même une des bases d’une relation de confiance et donc d’un boulot de qualité : Toyota appelle ça « Show Respect for People » et c’est bien de la responsabilité du leader.

X — J’avais pourtant saisi une pointe de reproche dans ta question initiale sur mes retards.

Moi — Je n’ai jamais dit que le Lean était facile. Par contre je sais que le Lean est aussi une affaire une coordination entre les gens : savoir qu’on peut compter sur les autres, c’est important. Un exemple parmi d’autres : la personne qui s’occupe du support va récupérer les éventuels problèmes de la nuit en prenant son poste à 9h. Si elle découvre un problème urgent à ce moment-là et qu’il n’y a personne pour le traiter avant 9h30, elle passera potentiellement de longues et douloureuses minutes au téléphone avec le client.

X, d’une traite — En fait j’ai eu un échange déstabilisant avec un ancien camarade de promo : je ne voudrais pas de son job car il est moins intéressant et challengeant mais il a l'air un peu plus flexible que le mien. Et je vois que ça me travaille.

Moi — OK, je sens que la discussion va devenir autrement plus intéressante désormais !