Les espérances du plan, l’obstination du terrain

X — Je ne vais pas y arriver : le contenu que je devais publier à la fin de semaine ne sera pas prêt.

Moi — Est-ce que tu veux qu’on regarde ensemble ? Je sens une point d’irritation derrière cet andon.

X — Tu appelles ça un « andon » ?! Je pensais que c’était plutôt pour les développeurs de l’équipe, quand ils étaient coincés dans leur code et qu’ils appuyaient sur le bouton orange de leur kanban.

Moi — Et pourtant, à chaque fois qu’on me signale un défaut ou un problème, je tente d’en changer l’étiquette dans ma tête : en utilisant « andon », cela me force à aller au bout de la réflexion. Avec un « problème », je me serais arrêté une fois trouvé un palliatif à la situation présente.

X — Ce serait déjà bien suffisant, non ?

Moi — Désormais j’essaie d’en saisir l’opportunité pour aller plus loin. Quand l’appel au secours devient « andon », je dois quitter les habits de pompier. Ça me force à regarder la situation sous un autre jour. Sans oublier de rechercher la cause racine (ce que nous ne savions pas que nous ne connaissions pas) et sans faire l’impasse sur les efforts nécessaires pour que ce problème n’arrive plus.

X — Et dans mon cas, ça donnerait quoi ?

Moi — D’abord t’écouter, probablement utiliser les 5 pourquoi au passage. Ensuite - et dans le meilleur de cas - découvrir qu’il y a un truc qu’on peut tenter pour sauver la publication de ce contenu. Et peut-être revoir le calendrier des publications qu’on a fixé il y a bientôt 6 mois.

X — Tu veux dire qu’on pourrait le mettre à la poubelle, comme ça, simplement parce que je rate une publication.

Moi — C’est peut-être l’éléphant au milieu la pièce : chercher d’abord à faire la bonne chose et au bon moment. Le planning n’est pas à suivre au pied de la lettre systématiquement, surtout si tard après sa mise au point.

Un éléphant au milieu...

X — Oulala, j’ai l’impression que je vais devoir revoir mes conceptions personnelles du kanban ou du Just-In-Time…

Moi — Donc si on estime que ce contenu n’a plus de sens désormais ou qu’on peut faire quelque chose de beaucoup mieux, de plus efficace et percutant, il ne faut pas s’en priver. Je te donne un autre exemple : le « standard », il n’existe que pour être modifié et amélioré. Rien de pire que de produire quelque chose de moins bien : la vérité du Gemba est une bien meilleure boussole que le plan et son cortège de prémisses obsolètes.

Dépiler les andons

Moi — Je vois que l’andon sur un de tes kanbans s’est allumé, est-ce qu’on peut regarder ensemble ce qui se passe ?

Andon allumé sur une chaîne Toyota

X — Mais je pensais que pour déclencher l’andon, il fallait appuyer sur le bouton orange dans notre interface.

Moi — Le déclenchement manuel est effectivement possible, mais il y a aussi un déclenchement automatique : quand on n’arrive pas à suivre le takt ou quand on passe trop de temps sur un kanban, par exemple. C’est ce dernier cas qui vaut ma présence à tes côtés.

X — Pourtant j’ai à peine commencé hier matin.

Moi — Pour se faciliter le lissage en interne, on a décidé arbitrairement qu’un kanban devait être faisable en moins de 24h - soit 7 ou 8h de travail consécutif. Si tu l’as commencé en fin de matinée, c’est donc normal que l’andon se déclenche aujourd’hui en début d’après-midi.

X, sceptique — Bon, d’accord…

Moi — Alors que raconte ce kanban ?

X — Je ne vais pas réussir à le terminer d’ici ce soir : il est plus complexe que d’habitude et comme L. n’est pas là, je n’ai pas pû lui demander de l’aide comme pour les kanbans précédents. Bref, je pédale un peu dans la semoule et je ne suis toujours pas certain de savoir comment le traiter en fait.

Moi — Pourtant quand L. est absente, il y a bien d’autres personnes qui vérifient tes commits…

X — Bien sûr mais j’ai toujours peur de les déranger avec mes petits problèmes de démarrage, surtout que ça fait désormais plus d’un mois que je suis dans l’équipe.

Moi — Je vois. Je comprends mieux pourquoi mon sensei insistait sur cette chaîne d’aide : ce déclenchement automatique me fait bien plaisir !

X, interloqué — Tu parles de plaisir ?

Moi — Bien sûr ! Je suis content de savoir qu’on devrait pouvoir t’éviter au moins deux jours supplémentaires de pédalage dans la semoule. Il a eu raison de me montrer une vidéo avec un andon automatique sur l’alimentation en pièces d’une petite machine industrielle.

X — Et moi qui pensais que tu serais contrarié.

Moi — Bien au contraire, cela met en lumière un point que je ne t’ai pas encore expliqué clairement.

X — Comment réaliser cette tâche ?

Moi — Même pas… Plutôt comment se donner le temps d’y arriver. Tu le sais déjà, chaque kanban doit être faisable en moins de 24h. Mais dès que tu découvres que tu n’y arriveras pas, tu as la possibilité de modifier le libellé du kanban avec la mention « exploration » : une fois que tu auras fini ton exploration (toujours ces fameux 24h maximum), tu auras appris des choses. Soit que ce n’était pas si difficile, tu peux alors valider le kanban normalement; soit que ce sera effectivement plus complexe que prévu, tu devras alors créer d’autres kanbans - peut-être 1, 2 ou 3 - pour arriver au bout. Des kanbans qui viendront s’ajouter à ceux qui étaient déjà pré-positionnés pour être lancés dans les jours à venir : une nouvelle phase de lissage se chargera d’équilibrer le tout en fonction des contraintes connues des clients et des collègues.

X — Est-ce que je peux en profiter quand même pour te demander de l’aide sur ce kanban en particulier ? À ton air amusé, je pense que tu sais pertinemment comment en venir à bout.

Moi, pointant un ligne sur son écran — Tu pourrais en effet créer une backtrace sur cette variable puis vérifier si la pile d’appel est bien celle que tu as en tête. Et au passage, tu devrais bientôt apprendre à repérer les interceptions d’un plugin dans le code d’Opentime… Et leurs conséquences.

Passer quand même à l’orange

X — J’ai vu en début de semaine qu’il y avait plus de 20 kanbans dont l’andon était allumé. J’ai l’impression que c’est beaucoup, non ?

Vélo aérien passant à l'orange

Moi — Je suis bien d’accord : cela fait bientôt deux semaines que je vois ce chiffre grimper peu à peu.

X — Et qu’est-ce qu’on fait dans ces cas-là ?

Moi — La théorie nous dit de s’arrêter au premier défaut.

X — Et ?

Moi — Force est de constater que je me suis arrêté au 24ème.

X — Et ?

Moi — Il m’aura fallu une dizaine de jours pour accepter l’évidence : l’équipe ne pourrait pas rattraper le retard.

X — Et ?

Moi — Hier, j’ai enfin pris le taureau par les cornes et on a re-lissé le stock en question sur les 3 semaines à venir.

X — Et ?

Moi — Je peux partir en vacances tranquille ce soir.

X — Et ?

Moi — Je suis toujours sidéré par la capacité que nous avons à mettre la tête dans le sable… Le Lean est quand même une sacré école d’humilité. Les pastilles oranges se sont accumulées sur mon écran, malgré mes coups de main réguliers - en prenant de temps en temps un ticket à l’un ou à l’autre - et malgré mes coups de fil ponctuels - pour explorer les causes d’un délai plus long que prévu sur un kanban.

X — Un vrai problème de « charge - capacité » donc.

Moi — Et un vrai avertissement pour le problème suivant : la question d’une embauche chez No Parking remonte dans mes préoccupations.

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